De sept à soixante-dix-sept ans, comme dit la chanson. L'espace d'une soirée, trois générations d'émigrés — avec la nostalgie du Djurdjura dans le cœur — se sont retrouvées samedi pour une soirée de ramadan à Montreuil, un “village” qui abrite plus de 5 000 Kabyles au milieu de 600 éthnies qui vivent dans cette commune de la région parisienne. Il y avait de la joie.
De la troupe d'Ideballen d'Ahmed Cherfaoui, à Ferhat M'henni en passant par Rahim et Massa Bouchafa, il y avait des motifs de frétiller. Mais aussi de laisser titiller sa réflexion. De la danse et de la conscience.
Le programme a été concocté par l'association au nom très évocateur de Taferka qui s'occupe de l'enseignement de tamazight et de la diffusion de la culture berbère mais aussi de l'assistance aux travailleurs immigrés. Mohand, son président, regrette juste un manque de solidarité de ses “frères”. Avec mille adhérents, plaide-t-il, “nous serons suffisamment forts pour qu'il n'y ait plus un Kabyle de Montreuil sans travail et sans logement”.
Cette remontrance n'empêche pas le député-maire de Montreuil de rendre un hommage aux Kabyles, “une communauté parfaitement intégrée et qui ne pose pas problème” grâce à deux “vertus” qui sont la “démocratie” et la “laïcité”. Fortement applaudi, le maire annonce qu'à partir du mois prochain le berbère sera enseigné en tant que langue étrangère au Jean-Jaurès, l’un des plus grands lycée de la région parisienne. “Vous devez transmettre votre langue et votre culture à vos enfants”.
L'annonce est saluée par l'entrée en scène de la troupe d'Ideballen. Avec ses lunettes carrées d'intellectuel, sa moustache étirée sur les côtés et son crâne rasé, Ahmed Chefaoui ne porte pas ses 70 ans. Malgré la chéchia et les burnous.
Cet héritier de Kaci Boudrarène, le maître du t'bel, dirige la seule troupe professionnelle en France. Quasiment inconnus ici jusque dans les années 1990, Ideballen ont désormais une valeur grâce à leur art. Ahmed ne fait pas que les mariages.
Il est aussi présent dans les cérémonies officielles... Une fois n'est pas coutume, Massa Bouchafa entame son tour de chant par un texte politique écrit au début des années 1970 par un jeune collégien. “Je ne sais qui je suis ni d'où je viens”, posait toute la problématique de l'identité berbère. Le jeune collégien de Aïn El Hammam est aujourd'hui avocat à Paris. La reprise de son texte est le signe que Massa est aussi une militante même si son style est dominé par l'invitation à la danse. A la transe. La salle est en plein délire. La communion est parfaite. Ou presque. Le rythme âlaoui, style Orchestre National de Barbès, soulève quelques réserves.
Mais Massa sait mener son public. Jusqu'à la folie. Avant que Ferhat ne vienne interroger sa conscience. Le poing en l'air, la salle entonne le Chant des partisans, Sur le col d'aujourd'hui… Les textes, écrits dans le feu des années 1980 sont toujours d'actualité. Parfois adaptés.
Sur le col d'aujourd'hui, d'où qu'on la regarde, l'Algérie ne peut pas être celle dont ont rêvé nos héros de la liberté.
(Y. KENZY, liberté)
Sujet: La Kabylie en fête à Montreuil 