Ayant une mission de lien social à jouer
La radio Soummam de Béjaïa en quête d’une identité
Lorsque la radio Soummam de Béjaïa fut créée le 20 août 1996, tous les citoyens ont lancé un cri de joie en se disant qu’enfin la Basse Kabylie avait sa propre radio. Ce fut alors un grand événement, car il était attendu d’elle qu’elle mette en valeur toutes les spécificités culturelles et linguistiques de la wilaya de Béjaïa tout en ayant à l’esprit la promotion de tout ce qui est positif dans tous les secteurs possibles de la vie quotidienne. D’année en année, cette mission semblait de moins en moins évidente et l’auditeur se désillusionna très vite, se rendant compte que mis à part quelques rares et éphémères émissions, la radio n’a pas captivé l’intérêt de celui auquel elle était censée s’adresser.
A cette carence s’ajoutait le diktat anachronique qui s’était exercé sur cette radio dès sa naissance. En effet, les autorités locales de l’époque ne toléraient aucunement que l’information donnée par le journaliste soit le reflet de l’exacte réalité. Elles ont, au contraire, contraint la radio à ne jouer que le rôle de courroie de transmission de toutes les activités officielles de l’administration, du wali de l’époque notamment. Pourtant, rien ne pouvait justifier une telle dérive dans une région où la libre circulation de l’information était bien ancrée. En 1999, le wali de l’époque a même eu l’audace de se rendre lui-même dans les locaux de cette radio pour menacer, sans la moindre gêne, un journaliste qui avait failli à sa «règle».
Quelques années seulement après sa création, un énorme fossé séparait donc la radio de sa propre population, en la considérant tout simplement comme étrangère et complètement déphasée de sa réalité et de ses aspirations. Ce sentiment était de plus en plus partagé par un grand nombre d’auditeurs. Au début des évènements de Kabylie, au moment même où la révolte atteignait son paroxysme, la radio a aussi commis de graves maladresses qui ont failli la faire disparaître définitivement de Béjaïa. Croyant naïvement pouvoir atténuer l’ardeur des manifestants, la radio a décidé d’éteindre la voix de Matoub Lounes en suspendant brusquement la diffusion de ses chansons, ce qui était considéré comme une impardonnable provocation. De plus, elle a royalement fait l’impasse sur ces événements en se refusant à toute couverture des manifestations quotidiennes qui agitaient la rue, se contentant paradoxalement d’annoncer rituellement que le calme régnait partout à Béjaïa. La goutte qui a fait déborder le vase est relative à l’information donnée par la radio concernant la mort d’un couple de vieux. Pour elle, il serait mort suite à une fuite de gaz de ville, alors qu’en réalité il avait été asphyxié par les gaz des bombes lacrymogènes. L’enterrement de ce couple, le 28 mai 2001, a d’ailleurs servi de prétexte pour «asphyxier» cette radio en saccageant ses locaux et en brûlant son parc auto. Depuis, la radio Soummam avait cessé d’émettre, avant de reprendre après plus d’une année quand l’apaisement regagnait peu à peu les esprits.
Mis à part cet épisode dramatique, il y a lieu d’admettre que le problème de fond posé par cette radio est intimement lié à son identité qui ne fait pas consensus dans la société. Sa langue d’expression d’abord : de nombreux auditeurs trouvent que la plupart des animateurs des émissions ainsi que des présentateurs du journal s’expriment dans une langue un peu trop académique, savante et surtout chargée de néologismes. L’auditeur affirme ne pas trop la comprendre et la refuse même. La ville de Béjaïa et une grande partie de la vallée de la Soummam considèrent que ce parler est quasi identique à celui de Tizi Ouzou. La spécificité linguistique et culturelle de Bejaïa est de ce fait occultée et ne renforce pas le lien subjectif qui doit exister entre la radio et ses auditeurs naturels, lesquels ont du mal à s’identifier à elle.
A ce propos, Djamil Bouyahia, le fils de Cheikh Sadek, ne s’est pas empêché d’évoquer un problème sensible, mais qui mérite d’être pris en compte. En défenseur de la diversité linguistique et culturelle qui constitue une richesse selon lui, Djamil a soulevé le cas de la marginalisation du parler «bougiote», populairement appelé «Labdjaouia». Il nous expliquera que «ce parler est typiquement citadin, autochtone et est le produit d’un mélange entre les différents parlers véhiculés par un brassage civilisationnel séculaire.
On ne doit pas ignorer cela pour ne pas l’opposer injustement au kabyle», a-t-il confié. Dans le même sillage, il ajoutera qu’une radio, pour se rapprocher le plus possible de ses auditeurs, doit utiliser les langues populaires. «Même le berbère, il faut le populariser», a-t-il suggéré.
Sur un autre plan, notre interlocuteur dira qu’il y a une richesse inestimable léguée par le passé culturel, artistique et traditionnel de l’ancienne ville de Bejaïa et qui mérite d’être mis en valeur en le portant à la connaissance du large public afin que les différents auditeurs fassent leur cet héritage empreint de spiritualité.
En d’autres termes, la radio doit refléter toutes les richesses, linguistiques et culturelles, de toutes les régions de la Basse Kabylie pour mettre en phase la radio avec toutes les catégories de la population en ce sens qu’elle a la mission de lien social à remplir avec intelligence et professionnalisme. Des grilles spécifiques de qualité doivent voir le jour et rayonner à travers les ondes pour que le chauvinisme et l’intolérance ne fassent plus partie du paysage médiatique.
K. S.
Sujet: La radio Soummam de Béjaïa en quête d’une identité 
